Si l'on se réfère à l'historique du Sémaphore de La Chaume (Lettre des Sables n° 99/2009), il est indiqué que celui-ci se situe non loin de l'ancien fort de l'Aiguille, au lieu-dit les "Dunes de la Vigie". Aujourd'hui, si le Sémaphore se dresse toujours fièrement face à l'océan, il ne reste en revanche aucun vestige ni toponyme de ce fort disparu depuis de nombreuses décennies. Une consultation minutieuse des archives de la Ville s'impose d'elle même pour tenter de résoudre l'énigme du fort de l'Aiguille...
L'enquête commence donc par l'examen des anciens plans des Sables-d'Olonne datés des XVIIIe et XIXe siècles. Ainsi, sur la carte "Vue et plan des Sables d'Olonne et de sa rade levé très juste" (1701), la légende nous indique l'emplacement de la "batterie de la fontaine à Madame", composée de deux canons. Cette batterie venait en renfort de la redoute "de la pointe de Saint-Nicolas et de celle de la pointe de la Tanchette". Nous retrouvons l'indication de celle-ci sur les plans de Goulet de Brevannes et de de Loginière ("plan de la ville et du port des Sables d'Olonne et des batteries qui en déffendent l'entrée", 1706) datés eux aussi de cette époque. Jean-Baptiste Jamon (« Vue du plan de la ville et du port des Sables », 1733) répertorie également un édifice à cet endroit mais sans autre indication.
Par contre, une construction apparaît nettement non loin d'une tour à feu, face à l'anse de l'Armandèche, sur les plans d'André Collinet en 1773. Et c'est précisément le chroniqueur chaumois qui va nous éclairer sur cet édifice en 1780 : « J'ai été requis aujourd'hui par le sieur Prévôt, commandant d'artillerie en cette ville, pour aller dresser le plan d'une batterie de deux pièces de canon de trente six livres de balles en dessus de la pointe de l'Aiguille, en mon tènement des Grands Éguillons, au bas des moulins de La Chaume, et pour un chemin qui conduit de ladite batterie au fort Saint-Nicolas".
Donc, d'après l'étude des différentes pièces d'archives, et avec toutes les précautions nécessaires qui s'imposent dans ce genre d'exercice, il pourrait vraisemblablement s'agir d'un ouvrage défensif déjà présent dans la première moitié du XVIIIe siècle. Pour conforter cette hypothèse, le sieur Boulineau, auteur en 1789 d'un "Recueil pour servir d'anedoctes curieuses aux port, cité de Saint-Nicolas de La Chaume", nous rapporte également que des fortifications furent édifiées au fort Saint Nicolas et dans ses environs après le bombardement de la ville en 1696. Malgré cela, ce n'est qu'en 1819 que le fort de l'Aiguille est mentionné clairement pour la première fois, sur les plans réalisés par Maublanc, capitaine du Génie aux Sables. L'importance stratégique de ce fort était indiscutable si l'on note qu'il est seul présent sur la « Carte particulière des côtes de France (environ des Sables-d'Olonne et entrée du Pertuis Breton) », de Beautemps-Beaupré en 1824.
Si l'on parcourt les planches du cadastre dit Napoléonien (1829), l'emplacement du fort de l'Aiguille apparaît bel et bien sur les parcelles n° 1833 à 1837 de la section B de La Chaume (actuelles parcelles BH 931 à 934). La matrice cadastrale montre, quant à elle, que la parcelle n° 1835 concerne plus précisément le fort en question, en indiquant une surface de 4 ares 80 ca, soit 480 m² d'emprise au sol.
Deux décennies plus tard, les plans des ingénieurs Decharme et Petot répertorient toujours l'enceinte fortifiée. Toutefois, la dimension militaire du site semble s'estomper rapidement comme en témoigne un document du 12 décembre 1853 indiquant que « les batteries de Tanchet et de l'Aiguille sont à vendre par les Domaines au profit du Trésor ». Mais le maire des Sables répond alors au chef du bataillon du Génie que la commune n'a aucun intérêt à faire l'acquisition desdits bâtiments.
En 1862, l'ancienne batterie de l'Aiguille est bien présente aux côtés du poste électro sémaphorique de La Chaume. Enfin, un document d'archives daté de 1874 concernant l'affermage aux enchères publiques des terrains militaires nous offre la description précise du lieu : « lot n°3 - Un rectangle de terrain sableux d'une superficie de 47 ares 50 centiares renfermant les vestiges de l'épaulement de l'ancienne batterie des Pilours (?), plus deux petites masures dont l'une est une guérite en ruines et l'autre un corps de garde également ruiné. À environ 500 m à l'Ouest de la batterie un petit bâtiment ruiné qui servait jadis de vigie aux défenseurs de la Côte et situé au milieu des dunes domaniales ».
Le fort de l'Aiguille est encore indiqué sur le plan parcellaire du chemin vicinal ordinaire n° 6 de La Chaume aux Aiguillons (actuelle rue du Sémaphore) réalisé en 1899, ainsi que sur un plan relatif au champ de vision du Sémaphore daté de 1927.
Il est légitime de supposer que, pendant la Seconde Guerre mondiale, l'ouvrage en question était incorporé dans le système défensif du Mur de l'Atlantique, en complément des 14 blockhaus érigés sur le site des dunes de la Vigie.
Le fort de l'Aiguille semble finalement disparaître du paysage chaumois dans les années 1950. En effet, le déclassement du Sémaphore, la démolition des blockhaus et l'aménagement du terrain Dombret ont peut-être tout simplement précipité sa fin... Depuis, maisons et immeubles ont été édifiés sur les parcelles en question, mais il n'est pas impossible d'imaginer que des fouilles archéologiques révèlent un jour les secrets du mystérieux fort de l'Aiguille...
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